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Thursday, August 24, 2017

Friday, July 14, 2017

Et... Basta!



Léo Ferré (24 August 1916 – 14 July 1993)
Quand j'emprunte des paradoxes, je les rends avec intérêts
J'enrichis mes prêteurs qui deviennent alors plus intelligents
Le taux usuraire de l'astuce n'est jamais assez élevé
Je ne sais pas d'où je viens mais je sais que je suis là, à reverdir, dans cette campagne toscane
Les rossignols teints au Gargyl chantaient des aubades pharmaceutiques
J'ai les cheveux trop longs... comme des voiles de thonier, mes beaux cheveux qu'on m'a toujours taillés, mes beaux cheveux longs dans ma tête
Dans la rue, on se retourne...
Moi, je leur tire la langue !

Ô belles pattes des fourrures
Chapeau du vent de ces madames
Inquiétude de la parure
Toiles de soie, vers vous je rame

Je sais des paradis tranquilles où les anges n'ont pas de vin à boire mais des orages de raison.
Des violettes de reverdie
Je sais des paradis tragiques où les fauteuils d'orchestre n'ont pas de mémoire
Où les roses ne fleurissent que par osmose, et encore...
Où les passions sont d'un autre ordre et les mirages d'une autre qualité et de la nuit pourtant venus
Je sais des paradis-bordels où l'on me fait signe
Où l'on se signe
Où l'on me désigne pour la bonté des mains tendues et des bouches capitales
Comme au petit matin... Tchac !

Je sais des paradis naturels où le mauve tient lieu de drogue
Où l'on peut passer du mauve à la frontière
Je sais des paradis câlins avec la barbe de deux jours et des saints
Sans foi ni loi
Sans feu ni eau
Avec simplement une ceinture d'émigrant

J'émigrerai quelque jour vers vos pays cachés
Et ne reviendrai plus
Regardez-moi
Passants de rien, poules de luxe, fleurs incroyables
Regardez-moi
Je suis un migratoire, un migratoire
Je suis un vieux corbeau qui court après une charogne comme un chien de course après le leurre
Je suis un vieux corbeau de la plaine où je vais m'englânant des trucs dégueulasses, de vieilles graines d'homme qu'on a trop employées
Je suis un vieux corbeau qui court après une corbeaute
Je croasse comme on peut croasser quand on est un vieil oiseau de cinquante-sept piges

Je tiens que le désespoir des ordures est une incompétence biologique à pouvoir en sortir un jour ou l'autre, coûte que coûte
Quand la merde déborde, c'est encore de la merde

À ce moment-là, je connaissais une chanteuse... Vous la connaîtriez aussi, c'est facile
Une chanteuse qui a le derrière sur la figure, ça vaut la carte d'identité, non ?
Et puis, Madame Lechose, taulière blonde, un peu grasse, un peu...
Taulière à L'Escalier de Moïse, où il y avait de tout, du Fernand, du Ferré qui chantait au piano, avec son chien et ses grimaces, et son petit cachet
- Dis donc, Léo, ça ne te gêne pas de gagner de l'argent avec tes idées ?
- Non. Ça ne me gênait pas non plus de n'en pas gagner avec mes idées, toujours les mêmes, il y a quelques années
Vois-tu, la différence qu'il y a entre moi et Monsieur Ford ou Monsieur Fiat, c'est que Ford ou Fiat envoient des ouvriers dans des usines et qu'ils font de l'argent avec eux
Moi, j'envoie mes idées dans la rue et je fais de l'argent avec elles. Ça te gêne ? Moi, non ! Et voilà !

Madame Lechose, un peu blonde, un peu...
Je la regardais, des fois, en chantant, juste en face de moi, qui n'en perdait pas une, qui n'en perdait pas une de ses fiches, et le whisky tant, et le gin-fizz tant et tant, et le citron pressé tant... Et mon citron pressé ?
La Mère Lechose, un peu blonde, un peu grasse, toujours à l'heure, comme les vrais artistes, ceux qui travaillent, et comme ceux qui font travailler les artistes. Je faisais la salle. Jamais les clients. Arkel, mon chien, venait me chercher après le Flamenco de Paris
C'est tout ce que j'ai eu de vraiment espagnol à ce moment-là. Ce devait être un chien exilé

Je rentrais chaque nuit avec le chien dans le désert Paris, dans cette brume des garages où reste un peu, le soir, après que les voitures soient passées, de cette odeur des temps modernes qui vous remonte du fond de votre carter, portant le deuil des foins brûlés. Je rentrais chaque nuit dans le désert Paris
Les putains ne m'accrochaient jamais. Elles savaient que j'étais un homme public, elles, les filles publiques...
- Alors, comme ça, on se prostitue, Ferré !
Je rentrais chaque nuit dans cette maison douce où gouttait l'eau du robinet, dans cette cuisine un peu salle de bains, avec sa cuvette...

Je vivais à ce moment-là avec une femme. Assez longtemps. Avec aussi des problèmes de mouise, d'attentes au bout d'un téléphone qui ne sonnait jamais
Le téléphone, quand il sonne trop souvent, on s'arrange pour faire répondre qu'on est là ou qu'on n'y est pas
Les importuns ne croient jamais ainsi qu'ils vous importunent et vous êtes tranquille. On ne peut pas être plus sociabilisé, pas vrai ?
Et puis, les commissions, le dentiste, les droits d'auteur minces, minces... Quand on travaille comme on veut, on touche comme on peut
J'allais chercher les sous moi-même, toujours moins de cent mille balles
Pas de chèque, et vite un restaurant dans un bon quartier. Et puis et puis, les souvenirs s'entassent. Le mariage vous mine petit à petit
On est fidèle parce que c'est l'usage et les années s'entassent aussi.
Les souvenirs, d'ailleurs, c'est du présent discutable. On est hier, toujours
Moi, je vivais demain et ça fabriquait les malentendus
Un artiste vit toujours demain, sinon il est fait pour l'usine
À l'usine, le présent, c'est un cadeau quotidien, incessant, fatigant, dégueulasse
On peut te congédier, alors tu prends des dispositions particulières pour ne gueuler qu'en connaissance de cause et dans le silence revenu des retours à la maison
À la table de travail, devant la page blanche, l'artiste n'est pas là. Il vit là-bas, loin de tout, du téléphone, de sa compagne, de ses problèmes
La solitude est une affaire d'ordinateur. Moi, je me perfore loin des imbéciles et du propos courant.
On me hait. Je m'en fous. Je suis un autre mec. Voilà.

Ni dieu, ni maître, ni femme, ni rien, ni moi, ni eux et Basta !

Il y a l'amour... peut-être. C'est une solution, une solution à un problème qui reste un problème Alors... Rien
Une solution... Un problème... Par quoi commencer ?
On donne et on te prend. Celui qui prend a l'impression qu'il donne
Arrange-toi avec ça, si tu peux. Il y a, derrière les yeux des gens, une cité privée où n'entre personne. Une cité avec tout le confort d'imagination possible. Les gens que tu vois chez toi, sont d'abord chez eux. Ils ne te voient pas
Ils se singularisent dans l'immédiate et toujours constante défense de soi. Ils ont peur. Ils sont terribles, les gens
Ceux que tu appelles tes amis, ce sont d'abord des gens remplis du moi qui les tient en laisse
L'homme est un "self made dog"
Mais il parle au centre du monde, et le monde, c'est lui
Il transpire, il a une queue mais ne sourit pas avec, comme le chien. C'est tout et c'est trop
L'amitié, c'est comme le ciment armé : on ne sait pas comment ça vieillit. J'aime les vieilles pierres. Elles ne transpirent pas

Ni dieu, ni maître, ni femme, ni amis, ni rien, ni moi, ni eux et Basta !

"L'Écluse"... fin 49... Drôles de mariniers, sur ces quais néon'cifs !
J'étais le pianiste et le chanteur. Cette " écluse " où ma galère échoua, un soir, entre barbarie et une inconnue de Londres, et deux romances à goémons, avec une guitare et un gitan, égarés là... Allez donc savoir.
Et ce taulier, qui me lucarnait derrière son zoom, un zoom qu'il vous plantait là, sur le front, jamais en face, jamais dans votre zoom à vous, toujours un peu au-dessus, comme s'il regardait l'ineffable
C'est pas mal, un particulier qui sue du goulot, qui transpire de l'en-dedans. Rien ne sort jamais. Un lavatory, quoi ! Qui garde tout, qui transmet, qui assume sa condition de réceptacle
L'âme de certains individus m'empêchera toujours de croire tout à fait en Dieu
J'ai oublié son nom. Il y a une chance pour les mauvais souvenirs
- Eh ! Ferré ! Bonjour, tu te rappelles ? C'est moi, l'ordure...
- Qui ça ? Ordure ? Tiens, il y en a encore dans le siècle ?

Je vous demande excuse, Monsieur. Je ne connais, quant à moi, que des anges...

Ni dieu, ni maître, ni anges, ni rien et Basta!

Il faudra que je change de support. Écrire sur des champs de luzerne, sur des biffetons "Banque de France", des faux, sur le ventre de certaines girls in magazines. En tournant la page, on pourra voir, juste en dessous
Les girls, ça se regarde ou ça s'invente. En dessous de trente ans, c'est plus lisse, et c'est, des fois, encore un peu môme. Après, ça se froisse et on les jette
Il faudra que je change de support. Le papier, y en a marre !
De ce papier-xylo qui fait grincer, gémir les arbres que je porte en moi
Quand on scie un arbre, j'ai mal à la jambe et à la littérature. Quelle horreur, la parlote ! Écrire partout, à l'envers de toi, sur ton cœur, sur ma loi, dans mon froc, lorsque tu me regardes précisément et que je te dis que je suis dingue de toi, pour te faire couler ton printemps court.
Cours, cours, petite, n'oublie pas
Sur mon cahier quadrillé, c'est la misère. J'essaie de mettre au carreau mes ailes, mon job. Rien à glander today au club des métaphores
Il faut que ma plume feutrée, ma petite japonaise glissante et noire soit serve d'une certaine rigueur de gueulante
Le drapeau noir, c'est encore un drapeau !
Il faudrait que je leur lance un Manifeste de la Méthode
Quelque chose de concret, du style genre polyester qui aurait l'air de ne pas moisir dans les gothiques et qui psalmodierait tranquillement des lamentations tocs devant le Mur des Fédérés.
Sur ma fenêtre, je pourrais mettre un vieux chiffon rouge, histoire de bien signifier mes origines. Des tambours aussi, et des crécelles à couvrir de leurs criasseries les millions de chevaux Paris, Milan, New York and so and so on
Au large, hommes tergaliens, boys d'alpaga, filles jeanisées au maxi, avec vos clous dessinant les orages du Guevara
Le Che crevé, crucifié, pourri déjà, même sur vos images
Dépoitraillez-vous, Hommes, s'il en reste, et venez vous chauffer au bain-marie de ma métaphore, celle qui appelle chat une amphore et gouttière un vieux thème serbo-croate
Au large ! Monocloez-vous l'œil de rechange et changez de basse-cour
Fuyez vers les tramontanes d'Éros, puisez dans les accordéons des rythmiques plus sûres, vers les caniveaux
Plongez-y en lune à becs frisants... Vous y verrez peut-être une gorgée de solitude...
Quand je me regardais, en ces temps, au ras du trotte-madame, la Neuille, des fois, une image reflétée me donnait la solution du style
Ma méthode est simple : Mettez-vous à coucou, place de la Bastille et prenez-vous pour un serpentaire
Vous verrez alors qu'il n'y a plus de métaphore possible quand on se dénature, quand on se désanalyse, quand on s'antidate et qu'on s'insectise, quand, mouche devenue, pour prendre le quart dans un hôtel fameux où la passe est sanguine ou à Bidon's City, vous pourrez sentir s'exhaler la queen, et la vrombir, et la gémir, et la voir même prendre son pied à certaines désinences. Alors, vous aurez accompli la mutation que j'attends de vous, mouches vertes des prairies du double... Je vous ai créées

Je dirigeais alors des fantômes bon marché, des que j'achetais dans des économats spécialisés en bizarreries, en relativisme du tout venant
J'avais une carte qu'on me tamponnait à chaque coup. L'employé me disait :
- Alors, ça biche, Ferré ? Vous en prenez pour votre pognon ?

Un réverbère propre à décrypter les étymologies les plus perverses
Un chandelier en robe du soir
Un réveille-la-Mort des fois qu'on oublierait de s'actualiser
Un canevas dernier modèle pour tricoter de l'affection technicolor
Des ciseaux pour tailler dans le vif du sujet même si le sujet ne colle pas à la syntaxe
Des hôtels barbelés au travers desquels je pisserais quand même
Des mômes à comètes et à cendriers portables, histoire d'être confortable au risque de payer de leur vie
Des vies punies de vide et de tambours voilés frappant tout doux ta résurrection journalière

Quand je dors, je suis mort sans bière uniquement avec du Coca sur la table de chevet
Je lis des sons particuliers quand Ludwig sanglote doucement les bras tendus vers la Neuvième

Les épices m'ont toujours brûlé le charme
J'ai du slave qui se balade quelque part entre peau et jactance
La mer, chez moi, dans la rue, cela m'était facile
Je l'appelais, elle arrivait : le flot bouillonnant, au ras de chaussée

L'eau, cette glace non posée
Cet immeuble, cette mouvance
Cette procédure mouillée
Me fait comme un rat sa cadence
Me dit de rester dans le clan
À mâchonner les reverdures
Sous les neiges de ce printemps
À faire au froid bonne mesure
Et que ferais-je, nom de Dieu ?
Sinon des pull-overs de peine
Sinon de l'abstrait à mes yeux
Comme lorsque je rentre en scène
Sous les casseroles de toc
Sous les perroquets sous les caches
Avec du mauve plein le froc
Et la vie louche sous les taches...

La mémoire et la mer...

Ton corps est comme un vase clos
J'y pressens parfois une jarre
Comme engloutie au fond des eaux
Et qui attend des nageurs rares
Tes bijoux, ton blé, ton vouloir
Le plan de tes folles prairies
Mes chevaux qui viennent te voir
Au fond des mers quand tu les pries
Mon organe qui fait ta voix
Mon pardessus sur ta bronchite
Mon alphabet pour que tu croies
Que je suis là quand tu me quittes

La mémoire et la mer...

Cette mer cavaleuse, propre, cynique... Ce toit tranquille, comme disait l'autre... Ce drame mouvant comme un outrage de la nature, quand j'y plonge, de mémoire, je m'y perds, et moi, et mon courage, et ma passion, et ma musique

Le vent, y aidant, n'a qu'à bien se tenir. Il se prosterne, ce vent filou des bises, des frilures...
Soixante-huit, soixante-huit, soixante-huit !
Noblesse du calendrier

Je ne vais tout de même pas te raconter comment et pourquoi j'écris des chansons, non ? C'est comme ça !
Ma main sur le clavier de mon piano est reliée à un fil et ça marche. Je suis "dicté"
J'ai un magnétophone dans le désespoir qui me ronge et qui tourne et qui tourne et qui n'arrête pas

Alors je copie cette voix qui m'arrive de là-bas, je ne sais, qui m'arrive, en tout cas, et je la reconnais chaque fois. Ça fait comme un déclic et ça se déclenche
Je suis le porte-parole d'un monde perdu, présent pour moi, d'un monde auquel vous n'avez pas entrée parce que si tu y entres, dans ce monde, tu perds pied et deviens inédit. Ton foie, tes poumons, ton sexe, tout ça est à toi
Ta tête, non. Si tu es fou, alors viens dans mes bras. Je t'aime !

Soixante-huit, Soixante-huit, Soixante-huit, Soixante-huit !

Il y a des chiffres qui me font mal à mon dicteur. Soixante-huit... Il s'en fout mon dicteur, il le connaît ce chiffre. Il l'a fait, comme on fait une partie de cartes. Les cartes, aujourd'hui, sont mêlées. Il n'y a plus rien qu'une certaine forme de dictature sentimentale qui vous arrange et vous endort pendant que les autres veillent
Vous êtes vraiment des cons et des malheureux. Ou bien alors, crève, paysan, crève et passe de l'autre côté de la rue, avec tes dieux, avec tes maîtres, avec tes pantoufles et tes clopes

Soixante-huit, soixante-huit, soixante-huit, soixante-huit, Madame la Misère
"Misère" c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes...
Ton style, c'est ton cul, et oui... quand il a du style ! Ça ne dure pas longtemps. Un cul, ça ne se met pas au musée des Offices. Un cul, ça se renfrogne et ça se cache un jour ou l'autre. Plutôt un jour que l'autre. Quelle connerie !

Ni dieu, ni maître, ni toi, ni eux, ni cul, ni rien

Soixante-huit, soixante-treize, non-stop !

Je suis d'un autre monde et tu le savais bien
Ô toi qui tant et tant me regardais et m'écoutais
Tu m'apportes le fait d'un instant de malheur
Je drisse tout à coup avec ma peine en l'air
Vas-y, petit, les oiseaux s'en vont de côté cet hiver

Soixante-huit, soixante-treize, non-stop !

La vie d'artiste... C'est dur de ne pas être, hein ?
Il y avait vraiment de quoi
Ça a commencé pour rien, en trombe, Rue des Écoles et à la Maube
Understand ?
Les drapeaux noirs et les aminches et l'été soixante-hui et puis les anarchistes
Où ça ?
Les purées de Nanterre et la purée des anges
Tu l'envoies, ta purée ?
Je signe dès ce jour avec mon double crème
Je vivais dans l'ardeur de notre connerie
La très haute, la très grande
Et je suis seul ce soir devant le ciel brouillé
Non-stop avec des bulles dans ma tête
C'est difficile à raconter ce genre de bulles, même pas au neuro...
Vous n'avez rien compris ni toi, ni lui, ni eux, ni rien
Understand ?
Quand je pense que je pensais à vous comme à une épure de chantoung
Cette soie, je la pressens toujours comme un destin pavé
Vous étiez de cette intelligence sûre
Et qui se connaît bien
Et qui drague la nuit les grands auteurs
Pour être sûre d'être orthodoxe
Les mains... Ah ! les mains...
Ça me fait peur, ces mains tendues et renfrognées et biaiseuses
Vous aviez les mains gercées de rancœur
De cette rancœur qu'on promène tranquillement, sans rien devoir à personne
Avec ces fautes de parler et de syntaxe qui me sont devenues insupportables
Et puis cette culture qui débordait de vos calepins
Oublie donc, camarade. Oublie les soirs épais comme l'encre de Chine
Oublie les yeux drivés par le regard là-bas
Drive-toi pénardement dans les horribles banlieues où tout est bien
Où l'avenir est aux pointés pointeurs
Arrache-toi doucement à la musique d'acier de ce Paris qui vous manque dès que vous le déjugez
Vous n'êtes que des Parisiens, des Parisiens !

Soixante-huit, soixante-treize, non-stop !

Le grand drame des solitaires, c'est qu'ils s'arrangent toujours pour ne pas être seuls.
Je l'ai dit
Je l'ai écrit
Je le redis
Je le réécris
Maintenant je fais gaffe. Je paie des gens pour les besognes élémentaires et ne mange plus avec eux
J'ai gardé ma première facture de restaurant où j'ai mangé tout seul cet été
Je l'ai mise sous verre et la montre à mon fils qui a trois ans et trois mois. Je la lui montre tous les jours. C'est la gravure de mon soixante-huit à moi. On a les soixante-huit qu'on peut !
Quand les gens se mettent à avoir une comptabilité derrière les yeux, ils deviennent des comptables !

Qu'est-ce que je fais ici, à cette heure, attendant je ne sais quelle sonnerie de téléphone, me rendant une voix, quelque part, quelque chose de fraternel, d'insoumis, de propre, de comme ça pour le plaisir, de rien, de larmes j'en ai trop en veux-tu ? De quoi, enfin ? Penses-tu !
Le silence, lui, ne téléphone jamais, et c'est bien comme ça, c'est bien
La vie ne tient qu'à un petit vaisseau dans le cerveau, qui peut déconner à n'importe quel moment, quand tu fais l'amour, quand tu divagues, quand tu t'emmerdes, quand tu te demandes pourquoi tu t'emmerdes.
Il faudra que je prenne un jour quelque distance et dire à qui voudra mon style de pensée et de vie et de mort et je m'en monterai doucement du fond de l'an dix mille...

Je suis le vieux carter d'une Hispano Suiza
Une première femme : six ans de collage administratif
Une deuxième femme : dix-huit ans de collage administratif
Elles ne me voient plus que publiquement, elles savent, elles me connaissent
Moi je ne les vois plus publiquement
Si je les rencontre, alors... alors...
Les rides, ça s'apprend petit à petit. Je sais
La vieillesse, c'est une façon de coup de poing dans la gueule
Au-dessus de trente ans, allez... allez vous faire foutre !
Moi, j'ai cent mille ans. C'est pas pareil. Je suis un mort en instance et je vous regarde
On se demande ce qu'on fout à se multiplier par deux
Deux cœurs, deux foies, quatre reins... Je suis seul et je pisse quand même
Le couple ? Voilà l'ennemi !
Je t'aimais bien, tu sais...

Les souvenirs s'empaquettent négativement
La mémoire négative, c'est une façon de se rappeler à l'envers, c'est plus commode
Les ombres passent, un peu grisées
On pense à des gravures pleines de roussures, sans grand talent qui dépasse de l'encre rapportée
Les souvenirs n'ont pas de talent, ils végètent dans un coin du cerveau, un amas cellulaire qui s'ennuie et qui perd sa charge, comme une batterie
La matrice nourricière ? Il y a urgence ! Le piment, le vrai, c'est celui qu'on rajoute
Une femme inventée ne déçoit jamais. Seulement, il faut tout le temps en changer
L'invention permanente, tout, les dentelles, le savoir, tout en dedans du dedans...
L'érotisme, c'est vraiment dans la tête
Et puis, pas tellement que ça...
Une jupe, un cul de hasard et le reste...
Les collants... C'est de la pure imprécation
J'ai besoin de les arracher, ces cuirasses fileuses
La femme en collant peut partir à la guerre, comme au Moyen-Âge...

Quelle horreur, quelle défense d'entrer dans le jardin avec des fleurs...
Mener un train d'enfer à une pépée maxi, le long du fleuve, une pépée tout encerclée d'idées reçues
Et pas moyen de lui griffer la chatte ! C'est vraiment dégueulasse, la moralité publique !
L'enfer ? Une façon de voir et de se laisser voyant

Ni dieu, ni maître, ni éros, ni collant

Des bas oui, des bas avec un peu de cette blancheur qui tend à une géométrie particulière
Un peu de cette blancheur des fois tirée vers le malheur et puis l'angoisse du déjà vu, du déjà pris
Je sais de toute éternité que tu n'es pas à moi
Rien n'est à moi que l'illusion et encore ! Je l'invente tellement, cette illusion
Quand je la rencontre, l'illusion, elle m'est déjà ancienne et chiffonnée
Salut ! ma petite camarade, salut !

Mes illusions, je les arrange, quand je n'ai pas envie de leur parler et de leur dire qu'elles ne sont là que parce que c'est l'usage
Elles deviennent mes souvenirs controuvés
Le moulin de Pescia
Le papier
L'odeur
Ce type empaqueteur
Cette machine à pointer, en bas
Ce soleil de mars et cette brume en préface à la belle journée se préparant, se fardant de nuages discrets et prometteurs de belles coulées de ciel dans ce bleu d'aventure et changeant comme change ta vie à chaque instant, à chaque millième de seconde, toi vieillissant au fil de moi maintenant que je pense à toi, t'écrivant, te dictant, t'improvisant aussi comme une musique de messe noire, ce péage avec ce mec au mois, qui s'en fout
Caron d'un macadam déroutant, compteur du trouble et de l'ennui
Ces accidents abstraits que je m'invente au hasard des cent cinquante à l'heure
Ce retour dans le bleu et cette façon de ne pas être dans le siècle tout en y roulant
Cette descente vers les chiens et leurs paroles rassemblées
Cette pintade mise en route et mes fureurs de cuisinier sentant mouiller la casserole et s'attacher à un désespoir ailé, à des oiseaux traqués dans des caisses avides
Et tout ce néant de la merde qui monte à mes babines
Ce code pénal particulier qu'on devrait pouvoir lire en petites notes en bas de page du livre des recettes
Cette soirée après les autres
Cette machine qui tant et tant dactylographe
Ces cris perdus quelque part et que je n'entends pas et qui retrouvent un cœur saignant
Ce pain de seigle qui s'éternise sous la dent dure du couteau-scie
Les choses manufacturées qui souffrent à travers celui qui les a machinées
Et ces choses qui souffrent dans l'idée de celui qui les regarde
Ce piano, ma maison ancienne, anciennement la mienne, et cette humide honte, les touches qui s'étaient décollées et des larmes qui me venaient d'un chagrin de Czerny, de Debussy aussi
Cette horrible aventure qui a désossé mon piano en attendant qu'on nous le coupe en deux pour en avoir son dû... La moitié
Mais la moitié de la musique ? La moitié de ma tête ? La moitié du sentiment banni ?
Le code civil distribué en bandes dessinées aux imbéciles inadaptés
Ce parfum de la nuit comme une pièce de piano de Debussy jouée par Gieseking
Cette passion de passionner tout ce qui se passe autour de moi
Les loups promis
Les gufi
Les araignées dessinées avec leur toile sur ce gadget tire-lire avec son cadavre peint en vert et qui salue
Cette envie de passer vite, très vite et puis quand même m'attarder sur le bestiaire de ma mie
La source et le cloaque
Ça dépend du contexte
Les chiens, c'est comme les gens : avec un os, ça grogne !

Ni dieu, ni maître, ni mie, ni bestiaire, ni gens, ni os.

La solitude est une configuration particulière du mec : une large tache d'ombre pour un soleil littéraire
La solitude c'est encore de l'imagination
C'est le bruit d'une machine à écrire
J'aimerais autant écrire sur des oiseaux chantant dans les matins d'hiver
J'ai rendez-vous avec les fantômes de la merde
Les jours de fête, je les maudis, cette façon de sucre d'orge donné à sucer aux pauvres gens, et qui sont d'accord avec ça et on retournera lundi pointer
Je vois des oranges dans ce ciel d'hiver à peine levé
Le soleil, quand ça se lève, ça ne fait même pas de bruit en descendant de son lit. Ça ne va pas à son bureau, ni traîner Faubourg Saint-Honoré et quand ça y traîne, dans le Faubourg, tout le monde s'en rengorge. Tu parles ! Ni rien de ces choses banales que les hommes font qu'ils soient de la haute ou qu'ils croupissent dans le syndicat. Le soleil, quand ça se lève, ça fait drôlement chier les gens qui se couchent tôt le matin
Quant à ceux qui se lèvent, ils portent leur soleil avec eux, dans leur transistor.
Le chien dort sous ma machine à écrire. Son soleil, c'est moi
Son soleil ne se couche jamais... Alors il ne dort que d'un œil
C'est pour ça que les loups crient à la lune. Ils se trompent de jour
Les plantes ? Les putes ? Les voitures ?
Cette voiture aussi qui débordait... C'était terrible... Qu'est-ce qu'on riait !
Et je rêve aujourd'hui d'une voiture monoplace
Et ce bois de chauffage qui s'est gelé des tas d'hivers en attendant mon incendie
Je vous apporterai des animaux sauvés, l'innocence leur dégoulinant des babines ou de leurs yeux
Je mangerai avec eux, de tout, de rien
Je boirai avec eux le coup de l'amitié et puis partirai seul vers un pays barré aux importuns
Presque tous
Je suis un oiseau de la nuit qui mange des souris
Je suis un bateau éventré par un hibou-Boeing
Je suis un pétrolier, pétroleur de guirlandes et de marée plutôt noire comme mes habits, et un peu rouge aussi, comme mon cœur
J'aime la multitude, la multitude, les chiens, les hiboux, les horreurs ! La multitude, les chiens, les hiboux, les horreurs !

Soixante-huit, soixante-treize, non-stop !

Dans la cité, il y a la fête. Allez-y. Je t'invite à y boire
À mon malheur, à mes cheveux, à mes parents, à mes avions-hiboux
Comme en sept cent quarante-sept
En sept cent quarante-sept, je vous le dis, tous ces rampants iront brouter du fil coutil
Des ténèbres et du sang mijoté dans des endroits particuliers
Dans des endroits comme à la gauche du sacripant dont vous avez décidé que je sois le souteneur patenté, indécis, frivole et centenaire
Les comptes à rendre ne sont jamais à prendre
Je vous rends des comptes que je n'ai jamais eus
Que vous m'avez comptés, dûment, précisément
Les équations sur le grand huit de der, ça me fait bien rigoler
Cette chanson qui tant et tant me désespère
Et que je ne vous chanterai jamais
Je n'ai plus de voix pour vous, plus, plus, plus !

Soixante-huit, soixante-treize, non-stop !

Comme un voilier dans les descentes vers le Sud
En autoroute et des voiliers roulants
Foutez-m'en vingt litres, camarade!
Je descends à la proche banlieue
Celle qui se défait vers le quinzième, you see ?
Cette banlieue de mes défaites et de votre vertu, camarades
Allez-y, le sang n'est plus de une, le sang des réverbères gauchisants
Dans les aciers de cet Orly où je m'envole
Vers où?
Devine!
Je sais des vagabonds pleins de sous de sonnaille et qui sonnent dans les soirs tristes de Paris
Quand je m'envole et quand tu assassines ce petit enfant
Cet enfant du malheur auquel je fais des signes
Et puis qui me regarde, me mirant dans l'eau verte de ses beaux yeux
Ah, la passion des clairs obscurs sur les minuits
Quand nous allions vers les mirages et les bifs de carême!
Je suis perhaps, perhaps, peut-être Magari...
Et toi, et lui, et vous, et elle
Elles... Elles ont toutes une cicatrice qui nous fait des blessures
Elles ont toutes un entre-deux sur lequel je dégueule
Partons, partons!
Soixante-huit, cette marée rouge et moirée
Le dix comme un chiffre soumis
Le dix du mois de mai de cet an de soixante et huit
Non-stop au carrefour. T'es dingue et je poursuis une comète
Non-stop. Oh, la tendresse de ces soirs inventés, de ces soirs sans heure, sans compagne, dans le siècle un peu puant d'étoiles
Non-stop sur une bulle comme une idée poignante
J'ai l'invention qu'il faut pour me tirer de vos outrages
L'outrage le plus absolu est cette poignée de main avec dans l'idée une potence
Et le sourire, le sourire, camarade
Le sourire, c'est de la peur comptée d'avance
Le sourire, c'est une prescience d'outre-tombe
C'est un peu la tendresse des insoumis
Ce sourire, dis donc !
Qu'est-ce que le sourire en dedans de la tête, comme une ride intelligente ?
Quand les rides, ça se met à être intelligent, c'est ce qui fait le monde clos

Ni dieu, ni maître, ni code, ni quoi !
Pas vrai, mec ?

Requiem





Léo Ferrè (24 August 1916 – 14 July 1993)


Thursday, July 13, 2017

Wednesday, July 12, 2017

Tuesday, July 11, 2017

Monday, July 10, 2017

Sunday, July 09, 2017

Friday, July 07, 2017

Sunday, May 07, 2017

Il n'y a plus rien



Léo Ferré


Écoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme
un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec
le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui
remontent leur peau, qui tirent la couverture.

Immobile... L'immobilité, ça dérange le siècle.
C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas
lerche, la vitesse, en ces temps.
Les amants de la mer s'en vont en Bretagne ou à Tahiti...
C'est vraiment con, les amants.

IL n'y a plus rien

Camarade maudit, camarade misère...
Misère, c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois
pattes.
L'autre, le destin la lui avait mise de côté pour les
olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu'elle
accrochait dans les buissons pour y aller de sa
progéniture.
Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans
la nuit des chiens.
Camarade tranquille, camarade prospère,
Quand tu rentreras chez toi
Pourquoi chez toi?
Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du
Faubourg
Si tu trouves quelqu'un qui dort dans ton lit,
Si tu y trouves quelqu'un qui dort
Alors va-t-en, dans le matin clairet
Seul
Te marie pas
Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort
imagée

Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou
une crise de nerfs...
Tu pourras lui dire: "T'as pas honte de t'assumer comme ça
dans ta liquide sénescence.
Dis, t'as pas honte? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille
espèces de fleurs?
Espèce de conne!
Et barre-toi!
Divorce-la
Te marie pas!
Tu peux tout faire:
T'empaqueter dans le désordre, pour l'honneur, pour la
conservation du titre...

Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir!

Il n'y a plus rien

Je suis un nègre blanc qui mange du cirage
Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre,
Il en a marre qu'on lui dise: " Sale blanc!"

A Marseille, la sardine qui bouche le Port
Était bourrée d'héroïne
Et les hommes-grenouilles n'en sont pas revenus...
Libérez les sardines
Et y'aura plus de mareyeurs!

Si tu savais ce que je sais
On te montrerait du doigt dans la rue
Alors il vaut mieux que tu ne saches rien
Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen!

Tu as droit, Citoyen, au minimum décent
A la publicité des enzymes et du charme
Au trafic des dollars et aux traficants d'armes
Qui traînent les journaux dans la boue et le sang
Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend
Et si tu veux la prendre elle te fera du charme
Avec le vent au cul et des sextants d'alarme
Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant

Les mots... toujours les mots, bien sûr!
Citoyens! Aux armes!
Aux pépées, Citoyens! A l'Amour, Citoyens!
Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la
gueule à nos ainés!
Les préfectures sont des monuments en airain... un coup
d'aile d'oiseau ne les entame même pas... C'est vous dire!

Nous ne sommes même plus des juifs allemands
Nous ne sommes plus rien

Il n'y a plus rien

Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses,
certes!
Des poitrines occupées
Des ventres vacants
Arrange-toi avec ça!

Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les
plages reconverties et démoustiquées
C'est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires
pour ne pas risquer d'être reconnu par ses admirateurs
Dieu est une idole, aussi!
Sous les pavés il n'y a plus la plage
Il y a l'enfer et la Sécurité
Notre vraie vie n'est pas ailleurs, elle est ici
Nous sommes au monde, on nous l'a assez dit
N'en déplaise à la littérature

Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la
tronche
A l'encyclopédie, les mots!
Et nous partons avec nos cris!
Et voilà!

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Je suis un chien?
Perhaps!
Je suis un rat
Rien

Avec le coeur battant jusqu'à la dernière battue

Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage
dans la tête des gens:
"Apprends donc à te coucher tout nu!
"Fous en l'air tes pantoufles!
"Renverse tes chaises!
"Mange debout!
"Assois-toi sur des tonnes d'inconvenances et montre-toi à
la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe

Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et
devient une habituelle révolte, alors,
Sors
Marche
Crève
Baise
Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du
conforme et de l'inconforme
Lâche ces notions, si ce sont des notions
Rien ne vaut la peine de rien

Il n'y a plus rien... plus, plus rien

Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit!
Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit
Tu peux crever... Les gens ne retiendront même pas une de
leur inspiration.
Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets
éternels puant le certificat d'études et le catéchisme
ombilical.
C'est vraiment dégueulasse
Ils te tairont, les gens.
Les gens taisent l'autre, toujours.
Regarde, à table, quand ils mangent...
Ils s'engouffrent dans l'innommé
Ils se dépassent eux-mêmes et s'en vont vers l'ordure et
le rot ponctuel!

La ponctuation de l'absurde, c'est bien ce renversement des
réacteurs abdominaux, comme à l'atterrissage: on rote et
on arrête le massacre.
Sur les pistes de l'inconscient, il y a des balises baveuses
toujours un peu se souvenant du frichti, de l'organe, du
repu.

Mes plus beaux souvenirs sont d'une autre planète
Où les bouchers vendaient de l'homme à la criée

Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les
vaches
Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes
Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les
restes...
Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter
Alors, becquetons!
Côte à l'os pour deux personnes, tu connais?

Heureusement il y a le lit: un parking!
Tu viens, mon amour?
Et puis, c'est comme à la roulette: on mise, on mise...
Si la roulette n'avait qu'un trou, on nous ferait miser
quand même
D'ailleurs, c'est ce qu'on fait!
Je comprends les joueurs: ils ont trente-cinq chances de ne
pas se faire mettre...
Et ils mettent, ils mettent...
Le drame, dans le couple, c'est qu'on est deux
Et qu'il n'y a qu'un trou dans la roulette...

Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir

Te marie pas
Ne vote pas
Sinon t'es coincé

Elle était belle comme la révolte
Nous l'avions dans les yeux,
Dans les bras dans nos futals
Elle s'appelait l'imagination

Elle dormait comme une morte, elle était comme morte
Elle sommeillait
On l'enterra de mémoire

Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon
petit!

Transbahutez vos idées comme de la drogue... Tu risques
rien à la frontière
Rien dans les mains
Rien dans les poches

Tout dans la tronche!

- Vous n'avez rien à déclarer?
- Non.
- Comment vous nommez-vous?
- Karl Marx.
- Allez, passez!

Nous partîmes... Nous étions une poignée...
Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos
projets d'imagination dans le passé
Écoutez-les... Écoutez-les...
Ça rape comme le vin nouveau
Nous partîmes... Nous étions une poignée
Bientôt ça débordera sur les trottoirs
La parlote ça n'est pas un détonateur suffisant
Le silence armé, c'est bien, mais il faut bien fermer sa
gueule...
Toutes des concierges!
Écoutez-les...

Il n'y a plus rien

Si les morts se levaient?
Hein?

Nous étions combien?
Ça ira!

La tristesse, toujours la tristesse...

Ils chantaient, ils chantaient...
Dans les rues...

Te marie pas Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan
Et ceux de Mexico
Bras dessus bras dessous
Bien accrochés au rêve

Ne vote pas

0 DC8 des Pélicans
Cigognes qui partent à l'heure
Labrador Lèvres des bisons
J'invente en bas des rennes bleus
En habit rouge du couchant
Je vais à l'Ouest de ma mémoire
Vers la Clarté vers la Clarté

Je m'éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs
Dans l'or de mes cheveux j'ai mis cent mille watts
Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande
J'imagine le téléphone dans une lande
Celle où nous nous voyons moi et moi
Dans cette brume obscène au crépuscule teint
Je ne suis qu'un voyant embarrassé de signes
Mes circuits déconnectent
Je ne suis qu'un binaire

Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte
Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route
Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis
Roule Roule mon fils vers l'étoile idéale
Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras
Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans
La mue ça ses fait à l'envers dans ce monde inventif
Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain
Retourne tes yeux au-dedans de toi
Quand tu auras passé le mur du mur
Quand tu auras autrepassé ta vision
Alors tu verras rien

Il n'y a plus rien

Que les pères et les mères
Que ceux qui t'ont fait
Que ceux qui ont fait tous les autres
Que les "monsieur"
Que les "madame"
Que les "assis" dans les velours glacés, soumis, mollasses
Que ces horribles magasins bipèdes et roulants
Qui portent tout en devanture
Tous ceux-là à qui tu pourras dire:

Monsieur!
Madame!

Laissez donc ces gens-là tranquilles
Ces courbettes imaginées que vous leur inventez
Ces désespoirs soumis
Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe
pour aller gagner VOS sous,
Avec les poumons resserrés
Les mains grandies par l'outrage et les bonnes moeurs
Les yeux défaits par les veilles soucieuses...
Et vous comptez vos sous?
Pardon... LEURS sous!

Ce qui vous déshonore
C'est la propreté administrative, écologique dont vous
tirez orgueil
Dans vos salles de bains climatisées
Dans vos bidets déserts
En vos miroirs menteurs...

Vous faites mentir les miroirs
Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que
vous êtes
Cravatés
Envisonnés
Empapaoutés de morgue et d'ennui dans l'eau verte qui
descend
des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour
soumettre
A un point donné
A heure fixe
Pour vos narcissiques partouzes.
Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous
reconnaître
Tellement vous êtes beaux
Et vous comptez vos sous
En long
En large
En marge
De ces salaires que vous lâchez avec précision
Avec parcimonie
J'allais dire "en douce" comme ces aquilons avant-coureurs
et qui racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet
apparat vengeur et nivellateur qui empêche toute
identification...
Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes
les champions de l'anonymat.

Les révolutions? Parlons-en!
Je veux parler des révolutions qu'on peut encore montrer
Parce qu'elles vous servent,
Parce qu'elles vous ont toujours servis,
Ces révolutions de "l'histoire",
Parce que les "histoires" ça vous amuse, avant de vous
intéresser,
Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit
qu'il s'en prépare une autre.
Lorsque quelque chose d'inédit vous choque et vous gêne,
Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour
retenir une place
Dans un palace d'exilés, entouré du prestige des
déracinés.
Les racines profondes de ce pays, c'est Vous, paraît-il,
Et quand on vous transbahute d'un "désordre de la rue",
comme vous dites, à un "ordre nouveau" comme ils disent,
vous vous faites greffer au retour et on vous salue.

Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les
révolutions.
Vous seriez même tentés d'y apporter votre petit panier,
Pour n'en pas perdre une miette, n'est-ce-pas?
Et les "vauriens" qui vous amusent, ces "vauriens" qui vous
dérangent aussi, on les enveloppe dans un fait divers
pendant que vous enveloppez les "vôtres" dans un drapeau.

Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras!
La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez
assis.
Vous avez le style du pouvoir
Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes
Comme si vous parliez à vos subordonnés,
De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur
qu'on vous montre du doigt, dans les corridors de l'ennui,
et qu'on se dise: "Tiens, il baisse, il va finir par se
plier, par ramper"
Soyez tranquilles! Pour la reptation, vous êtes
imbattables; seulement, vous ne vous la concédez que dans
la métaphore...
Vous voulez bien vous allonger mais avec de l'allure,
Cette "allure" que vous portez, Monsieur, à votre
boutonnière,
Et quand on sait ce qu'a pu vous coûter de silences aigres,
De renvois mal aiguillés
De demi-sourires séchés comme des larmes,
Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne
vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage,
Je me demande comment et pourquoi la Nature met
Tant d'entêtement,
Tant d'adresse
Et tant d'indifférence biologique
A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs
pères,
Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires
Jusqu'aux salonnardes équivoques où vous les dressez à
boire,
Dans votre grand monde,
A la coupe des bien-pensants.

Moi, je suis un bâtard.
Nous sommes tous des bâtards.
Ce qui nous sépare, aujourd'hui, c'est que votre bâtardise
à vous est sanctionnée par le code civil
Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher,
avant de prendre congé.
Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien

Il n'y a plus rien

Et ce rien, on vous le laisse!
Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,
Nous, on peut pas.
Un jour, dans dix mille ans,
Quand vous ne serez plus là,
Nous aurons TOUT
Rien de vous
Tout de nous
Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la
Jeunesse,
Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux
des filles,
Le sourire des bêtes enfin détraquées,
La priorité à Gauche, permettez!

Nous ne mourrons plus de rien
Nous vivrons de tout

Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué
de nous léguer, montant
De vos fumures
De vos livres engrangés dans vos silothèques
De vos documents publics
De vos règlements d'administration pénitentiaire
De vos décrets
De vos prières, même,
Tous ces microbes...
Soyez tranquilles,
Nous aurons déjà des machines pour les révoquer

NOUS AURONS TOUT

Dans dix mille ans.